Quel est le prix de votre chandail étiqueté «fait au Québec»?
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- Par Marie-Soleil Brault - Le Soleil
En moyenne, les Québécois sont prêts à débourser 5 % de plus pour acheter local, selon un sondage Léger. Pour un veston à 20 $ d’un magasin de grande surface, c’est 1 $ de plus que la population est prête à payer.
De plus, même si la deuxième édition de l’Étude bleue révèle que 78 % des consommateurs du Québec font un effort conscient pour choisir une option locale, la réalité est que l’acheteur moyen est très sensible au prix, au détriment des marques québécoises qui ne peuvent compétitionner avec le marché chinois.
«Ça a déjà été gros l’industrie du textile au Québec», explique Noémi Harvey, présidente et directrice générale de la manufacture québécoise Productions RN, qui se spécialise dans le tout-en-un pour la création de marques de vêtements d’ici. «Avec la Chine et le fast-fashion, l’industrie s’est délocalisée à l’extérieur. Des joueurs sont restés ici et il fallait qu’ils rivalisent avec les prix de la Chine pour rester ouverts au détriment de la qualité du milieu de travail.»
Selon Mme Harvey, une des conséquences de ce monopole du marché par la Chine est que, à Montréal, certains fournisseurs et manufacturiers, sous l’enseigne d’une confection locale, sont contraints de prendre exemple sur le marché chinois. «Ils sont capables de compétitionner les prix en offrant de moins bonnes conditions à leurs employés et une moins bonne qualité de vêtements. Ça ne sert à rien de faire local, si c’est pour exploiter des gens d’ici à la place de gens d’ailleurs», dénonce-t-elle.
Pourquoi seulement Montréal? Car dans la ville de Québec, il n’existe pas de grands fournisseurs de textiles, confirme Lila Rousselet, président et responsable de production de Montloup, un producteur de tissus tricotés biologiques de Montréal. Elle ajoute cependant qu’il est aussi possible d’en trouver en Beauce.
Elle explique «qu’il y avait beaucoup de compagnies de tricot à Montréal jusque dans les années 2000 et plusieurs ont fermé parce que, justement, avec l’ouverture des marchés avec la Chine, ils ont perdu tout leur business.»
De son côté, Carol-Anne Pelchat, propriétaire de Chacal, un atelier-boutique dans le Petit Champlain, achète certains de ses matériaux en France, en Italie et au Brésil afin d’éviter ceux de Chine, mais dû à leur bas prix, «ce n’est pas facile», ajoute-t-elle. «Ils l’ont l’affaire et ils ont tout le savoir-faire de la terre», et ce, à petit coût.
Elle nuance en précisant que l’accessibilité à des fournisseurs éthiques et à bon prix est tout de même possible à Montréal.
Autant chercher une aiguille dans une botte de foin
Ce n’est pas seulement le prix des matériaux qui influence l’offre et la demande de vêtements locaux au Québec, mais aussi l’accessibilité à une main-d’œuvre qualifiée.
«Des sweatshop, on pense que c’est juste en Chine, mais à Montréal, il y a des boutiques dans des sous-sols, où il y a des immigrants qui ne parlent pas français et qui ne connaissent pas les normes du travail. Il y a beaucoup d’ateliers qui vont engager des couturières comme travailleuses autonomes, afin de ne pas payer toutes les déductions à la source, les fériés et les vacances», raconte Mme Harvey.
La créatrice de la griffe Chacal a aussi été confrontée à des situations où en raison du manque d’employés dans le domaine de la mode, certains manufacturiers se sont tournés vers une main-d’œuvre étrangère afin de couper dans les dépenses.
«J’ai déjà visité une usine à Montréal et je confirme que ce n’était pas très éthique. C’est sûr qu’il y a des briseurs de marché, il va toujours en avoir. Souvent, ces gens n’ont pas les mains dans le tissu et les fils, ils font juste ramasser l’argent, explique Carol-Ann Pelchat. Nous, au Québec, la main-d’œuvre est excessivement difficile à trouver. De bonnes couturières, ça n’existe presque pas.»
Tout comme Noémi Harvey, Mme Pelchat s’inquiète de la pénurie de main-d’œuvre qualifiée qui pourrait aider le marché québécois à se démarquer des grandes marques internationales au Québec et au Canada.
«Nous sommes passés d’une époque où ils apprenaient aux femmes à coudre à l’école, à plus personnes ne sait coudre. On a tout laissé faire ça pour laisser la Chine prendre le savoir-faire, déplore-t-elle. Donc [à Montréal], ils n’ont pas le choix de prendre des personnes qui viennent de pays où souvent elles étaient déjà exploitées. C’est triste.»
La valeur derrière l’achat local
La vague bleue ayant déferlé sur le Québec pendant la pandémie a influencé l’offre des détaillants, mais aussi la demande des clients. Ce qui a aussi permis à la mode manufacturée au Québec de devenir tendance et de survivre face aux géants de l’industrie.
Chez le producteur de tissu Montloup, la propriétaire Lila Rousselet a remarqué une hausse du nombre de designers poussés à se tourner vers la confection locale. «Avec la pandémie, il y a des designers qui sont venus me voir pour arrêter de faire produire en Chine.»
Cependant, cette inclinaison locale n’est pas pour tous. «Ce sont souvent les plus petites marques qui peuvent se permettre de vendre plus cher et de payer plus cher pour des matières premières de qualité qui correspondent à leur valeur», indique Mme Rousselet.
Les manufactures comme celle des Productions RN ont aussi été touchées par cet appétit d’une garde-robe régionale. «On pense qu’il n’y en a pas tant que ça des marques de vêtements d’ici ou des gens qui veulent se lancer là-dedans, mais on reçoit des dizaines de demandes de soumissions chaque semaine et ça, c’est depuis un an», fait savoir la présidente. Le chiffre d’affaires de l’entreprise a triplé depuis le début de la pandémie.
«La raison première pour laquelle les entreprises de mode locales ont leur place dans le marché, et que cette place grandit de jour en jour, c’est définitivement les choix de consommation des acheteurs», ajoute-t-elle, en précisant que l’achat de produit québécois est basé sur la prise conscience «des consommateurs sur l’impact positif qu’un achat local peut avoir sur la communauté, l’économie et l’environnement».
Néanmoins, le tour n’est pas joué, souligne Carol-Anne Pelchat. «Est-ce qu’il y a un engouement pour la mode locale? Oui. Est-ce qu’il reste du travail à faire? Oui.»
Soleil, L. (2021, 18 septembre). Quel est le prix de votre chandail étiqueté « fait au Québec » ? Le Soleil. https://www.lesoleil.com/affaires/quel-est-le-prix-de-votre-chandail-etiquete-fait-au-quebec-fef66bf3156cc12dfaa5a14dc2516ba6?fbclid=IwAR1ys8_oLZTxm0EVwj0HnNnpFGIazsX_ya2zdD4QJWkRAD-W8pIC_e_6vn0